Un amateur en Formule Renault


Premières courses en 1982 à Nogaro puis au Paul Ricard


Comme un défi, l'idée de m'inscrire à une manche du Championnat de France de Formule Renault est venue presque accidentellement lors du Grand Prix de France.


C'était le 25 juillet, dans le paddock de la FR, juste après l'arrivée de cette 8e manche remportée par Gilles Lempereur. Lequel allait être titré trois mois plus tard sur le circuit Paul Ricard à l'issue d'un duel final avec Frédéric Delavallade, le jour de la première victoire de Cathy Muller.

Septembre 2022       

Philippe Boespflug, team manager et préparateur de Meca Moteur, alignait pas moins de cinq Martini MK 36 pour Philippe Paoli, l'un des grands favoris du championnat, Cathy Muller, Gilles Lempereur, Dominique Delestre et Ferdinand de Lesseps. Hélas pour Philippe Paoli, tout s'était enrayé après sa victoire dans la première manche des Coupes de Pâques à Nogaro. Quelques sorties de piste coûteuses, son budget de pilote Elf trop vite consommé, et le voilà contraint à stopper net sa saison.

C'est là que l'ami Bloespflug, surnommé “Gazo“ par l'équipe et l'entourage, qui connaissait mon espoir de passer à l'acte, me proposa sur un coup de tête de me faire débuter en course lors de la manche suivante de rentrée, le premier week-end de septembre à Nogaro. Et ceci pour un apport pécuniaire attrayant. Chiche !


S'aligner à 27 ans en amateur totalement inexpérimenté, sans le moindre passé de karting ou autre discipline auto, dans une manche de championnat de France FR en pleine saison, présentait son lot d'inconnues. 40 ans plus tard, cela pourrait paraître complètement déplacé, tant les pelotons de monoplaces et autres sont peuplés d'ados hyper-préparés par des années de compétition précoce, la préparation physique et mentale, les acquisitions de données et la simulation vidéo.

Mais je devais d'abord répondre à une question majeure posée par mon libre arbitre : Aurais-je un niveau décent pour ne pas risquer de gêner les jeunes loups jouant leur championnat et leur début de carrière ?

A l'époque, la seule préparation reconnue étant les tours de piste engrangés en essais, mon réalisme m'avait convaincu d'élaborer mon propre “rookie test“ personnel, avant d'envoyer ma demande d'engagement à la Promotion Sportive de Renault pour le Grand Prix de Nogaro.


L'accord scellé avec Boespflug prévoyait donc deux jours d'essais à Magny-Cours un peu après le 15 août, pour m'acclimater à la Martini à moteur de R18 Turbo. Assisté par un mécanicien dédié, Yves Gruyer, j'avais “quartier libre“ au volant de la MK 36 ex-Paoli remise à neuf. Au préalable, me référant à mon expérience d'observateur professionnel sur les circuits pour analyser des feuilles de chronos, j'en avais conclu qu'il me fallait arriver à tourner à moins de 3"5 au tour des meilleurs pour m'autoriser à prendre un départ, histoire de ne pas jouer les chicanes mobiles. Justement, pour mieux m'évaluer, un lièvre du championnat, candidat au titre, en la personne de Francis Bodin, était également à l'entraînement sur le circuit Jean Bernigaud. Le pilote BP était d'ailleurs par moment relayé au volant de sa Martini par Dany Snobeck. Après avoir cumulé pas moins de 100 tours sur les deux jours sans incident majeur, hormis un beau 360° hors-piste moissonneur achevé dans le champ du double droite du Golf, sans dommage mais nécessitant un désherbage général de la MK 36, mon auto-examen validé par des meilleurs chronos à 3“2 de ceux de Bodin, toujours avec le même train de pneus usés, proclama mon feu vert pour l'opération Nogaro.


Une autre mission spéciale m'attendait avant de rejoindre le circuit Paul Armagnac. Activer les relations pour tenter de couvrir une partie de la prestation de l'écurie et de l'assurance spéciale course contractée. Après l'aide spontanée de l'ami Xavier Mathiot, alors responsable compétition de Yacco, une visite chez Jean Beidel, un gentleman driver connaissance de mon époque toulousaine, constructeur des Villas JB, déclencha sa contribution. Décrocher cette participation publicitaire, c'est bien, mais comme mon généreux donateur ne disposait pas de sticker adéquat, il me fallut pour le remercier fabriquer moi-même dès l'arrivée dans le Gers le gros autocollant nécessaire à la taille requise, ... à partir du logo de 3 cm de large de sa carte de visite. Grâce au coup de main de Bruno Ilien, roi du moment de l'adhésif et de l'autocollant sur mesure, je parvins dans les temps à reproduire fidèlement les ornements des flancs et du capot avant.


En piste dès les premiers essais libres programmés le jeudi 2 septembre (quand on n'est pas certain d'une autre participation, autant profiter pleinement de la première), ils allaient m'offrir diverses sensations particulières. Comme par exemple ces premières séances mélangeant les FR et les F3 du championnat d'Europe. Les F3 et leurs 2 litres bridés n'étant pas spécialement plus véloces en ligne droite que les FR à moteur de R18 Turbo, c'est ainsi que je dus surtout surveiller les F3 en courbe et au freinage pour ne pas semer la zizanie chez les pros et les grands noms des deux disciplines. A force de m'écarter devant tout ceux qui me rattrapaient, cela me valut quelque recadrage de mon team-manager, pour m'éviter de continuer la collecte de gomme hors-trajectoire et me concentrer sur ma progression. Dans mes souvenirs une seule grosse alerte par ce monumental 360° avec passage hors-piste, à fond de 4e dans le gauche de la Ferme, avec pour seul dégât une “bavette“ de capot avant cassée.


Le samedi soir, j''étais satisfait de mon 21e rang des 28 concurrents sur le classement cumulé des deux séances qualificatives. Les chronos avaient été fixés le matin dans la première sur une piste plus performante, et je n'avais pas à rougir de mon chrono, à 3"6 de la pole position de Fred Delavallade. Car au contraire de toutes les premières lignes, mon petit budget investi ne m'autorisait pas à monter des pneus neufs.


Ce dont je retiens encore de ce premier départ en monoplace, l'après-midi du dimanche 5 septembre, par une température caniculaire, c'est cette sensation inouïe d'être assis en fond de grille au ras du sol dans mon cockpit, de voir tout ce public sur la butte à gauche. Je ne rêvais pas, j'étais bien au départ d'un peloton de monoplaces. Et ce moment d'entendre monter à l'unisson les régimes moteur, et d'avoir un peu de mal à percevoir l'abaissement de ce lointain drapeau bleu-blanc-rouge sur la nacelle du directeur de course (les feux de départs viendront bien plus tard). Puis embrayer, suivre le mouvement, décider de rester vigilant à l'approche du “S“ du Lac. Bien m'en prit, car ça me facilita la vie pour éviter la Martini jaune de l'ami André Bourdon, immobilisée en tête-à-queue à l'intérieur du premier droite. Parvenu sans encombre au terme de ce premier tour houleux, et une fois le peloton étiré, ma course se résuma à tenter de suivre ces véritables amateurs confirmés qu'étaient Joaquim Morillas, le prof' Jean-Christian Darlot ou Claude Barbe. Et aussi plus tard à cette séquence duel on ne peut plus correcte avec Alex Adler, avec lequel nous négociâmes de front les courbes gauches Roger Dubos et Henri Oreiller, en prenant bien soin, en toute courtoisie, de ne pas s'approcher de trop près. Du style : “Mais allez-y cher ami !“ - "Je vous en prie, après vous, je n'en ferai rien !“. Je ne sais plus s'il a pu connaître un problème sur la fin, car j'étais devant, mais je constate que je figure à la 18e place du classement à l'arrivée, dans le même tour que l'ami Olivier Grouillard, vainqueur pour la première fois, et Adler à un tour. Les dernières des 20 boucles m'avait parues longues, la déshydratation à cause de la grosse chaleur mettant à mal ma concentration. Mais au final, une fois désaltéré, me restait un agréable goût de “reviens-y“ !


Qu'à cela ne tienne ! La MK 36 bleue de Méca Moteur était à nouveau disponible pour les Finales Renault programmées sur le circuit Paul Ricard du 7 au 10 octobre. Cette fois, elle allait être décorée grâce à d'autres généreux partenaires : Olivier Lamirault (Renault Chartres), Métal 5 et Sodicam. Contrairement à Nogaro un mois plus tôt, je n'avais jamais roulé au Castellet, en l'occurence le tracé de 3,3 km utilisé pour ces finales, avec ce premier “S“ de Méjannes assez technique, qu'aujourd'hui les pilotes de moins de 30 ans ne connaissent pas. Des anecdotes vécues de ce second rendez-vous de FR 82, je citerai une première séance libre où la retenue m'empêcha de passer à fond dans la courbe de Signes, influencé par le sous-virage assez marqué de ces FR Turbo. Puis une fois l'appréhension vaincue, lors d'une séance suivante, ce sursis dans la fameuse courbe lors d'un passage bien au-delà du vibreur extérieur, à quelques centimètres de la rangée de grillage.


Ma 21e place qualificative se traduisit en course par le même rang, et si j'en garde une seule petite frustration, c'est de ne pas avoir assisté en “live“ au premier succès en monoplace de Cathy Muller, et au dénouement pour le titre tournant à l'avantage de Gilles Lempereur au détriment de Fred Delavallade, laquelle et lesquels passèrent bien avant moi devant le drapeau à damier.
                                                                                                                                                                                                                                                   Jean-Luc Taillade

(© DPPI, Photos Actualités et D.R.)

( Cliquer sur les photos pour agrandir et faire défiler )

  • Share by: